"Douze ans quand ils tentaient de colmater leur misère de
parias, d'orphelins de la Grande Guerre. De la der des der. C'était juré. Il
n'y en aurait plus. Tous ceux qui étaient restés là-bas à Verdun, au Mort
Homme, au chemin des Dames, dans la Somme, sur la Marne, tous ceux-là avaient
payé de leur chair la fin des tueries. Juré. Promis. La Société des nations se
chargera de faire appliquer le serment. Fini. Promis. Juré. Les menteurs. Les
ignobles, les bourreurs de crâne. La der des ders? Mais les descendants des
morts au champ d'honneur de 14-18 étaient déjà en plein dans une autre!
Celle-là, comment allaient-ils la baptiser, les immondes? Pas der des ders en
tout cas, puisque la courte phrase avait déjà servi. Alors comment l'appeler,
celle-ci? La définitive des définitives? L'ultime? Les ignobles pourceaux. Les
fumiers de baratineurs, de fendeurs de mou. Alors pourquoi, pour qui, étaient
donc tombés ceux de 14-18? Pour que dalle, tout bonnement. Pour des
bigorneaux... des haricots. Pour de la fiente. Et les orphelins de cette
ultime, issus des orphelins de la der des der, qu'allaient-ils devenir? Les
laisserait-on comme leurs pères crever la gueule ouverte? Deviendraient ils
également des voyous, des poisses, des mecs de mecs, des rôdeurs de barrière?
Des parias sur qui flicaille et société s’acharneraient, pissant sur la voix
d'un nouveau Clemenceau, le Tigre qui avait jadis clamé, déclamé, proclamé: «
Ils ont des droits sur nous! » en faisant allusion aux parents femmes et
enfants des tués, des morts pour la France. Oui mômes de cette dernière
hécatombe, ceux sans attaches et sans foyer, sans rien, finiraient-ils comme
leurs pères dans la rue? Dans la gadoue, la pourriture, la violence, le bagne,
les prisons et la mort? "
2 sous d'amour · Auguste Le Breton (auteur). Editeur : Vertiges du Nord, pp,84,85
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