01 décembre 2008

Le structuralisme


Nous devons donc comprendre qu’il n’y a pas de Sens dont l’homme serait porteur ou créateur et qu’il donnerait aux choses ou à l’Histoire; il n’y a que des significations contextuelles qui naissent de combinaisons d’éléments comme le goût d’une sauce provient des produits avec lesquels elle a été préparée. On appelle ainsi structure une « entité autonome de dépendances internes », mais il n’y a pas de finalité externe qui déboucherait sur un but.(...)nous n’avons qu’à constater que c’est ainsi et pas autrement.
Nous devons procéder de même à l’égard de tous les systèmes de codes qui nous entourent, ils ne donnent sur rien d’autre que sur eux-mêmes, ils sont autojustificatifs et n’ont pas à être jugés. Il n’existe pas de système de structures qui pourrait être hypostasié comme un modèle par rapport auquel on pourrait parler d’écarts déviants ou pervers, il n’existe pas d’écart en soi mais seulement des écarts différentiels.
Lévi-Strauss nous demande ainsi, après Sartre, d’étudier les hommes « comme s’ils étaient des fourmis » et se réclame d’un « matérialisme vulgaire ». Pour lui, en effet, l’homme n’est qu’un ensemble de molécules accidentellement et provisoirement coalisées, il n’a pas toujours existé et n’existera pas toujours, il fait partie de la nature.
Pour Lévi-Strauss, « il n’y a de sens que par l’homme, lequel n’a pas de sens ».
Il faut donc en finir avec la distinction entre le culturel et le naturel, car cette distinction est elle-même culturelle; le culturel ne relève que de combinatoires naturelles qui donnent naissance à tel ou tel système de pensées ou de valeurs qui ne sont que des cas ou des exemples parmi bien d’autres. Ainsi le rôle des sciences humaines n’est pas d’expliquer l’homme mais de le dissoudre, tel est le but de l’Anthropologie structurale (1958). Dans un tel système il n’y a plus de place pour la notion de sujet, le sujet n’est pas une personne, il est un lieu constitué par le croisement de lignes de force et par le recoupement de structures qui donnent ainsi naissance à ce que nous prenons abusivement pour un sujet et qui n’a pas plus de réalité que n’en ont les spectres magnétiques ou les apparences de figures auxquelles donnent naissance des ondes qui interfèrent entre elles. Finalement, toute sagesse doit se réduire à la laconique, objective et démystifiante constatation que c’est ainsi et pas autrement.
Ces nihilismes encyclopédiques reprennent les très vieilles idées des explications par le milieu, mais ils les dissimulent derrière une terminologie impressionnante empruntée en grande partie à la linguistique; certains philosophes sont très friands de ces vocabulaires ésotériques qui laissent croire qu’obscurité est synonyme de profondeur.

Les conséquences du structuralisme sont à la fois graves et pleines de contradictions significatives. Ces aplatissements analytiques reprennent, en les compliquant, les conclusions du sociologisme pour accuser de « moralisme » tous ceux qui prétendraient que l’éthique est autre chose qu’un système codé explicable à partir de structures à inventorier; à tous ceux-là est opposé un « rire philosophique » qui dispense de toute argumentation et s’attache à repousser 1’ « esprit de sérieux ».

Une fois de plus, l’hyperintellectualisme des syntaxes ouvre la porte à un ludisme radical et à un « esthétisme transcendantal » pour qui tout est jeu de combinatoires et rien d’autre. Ces systématismes conduisent à des positions intenables. Tout d’abord, les partisans de ces anti-humanismes qui, après la mort de Dieu, nous annoncent la bonne nouvelle de la « mort de l’Homme », font partie de ceux qui se trouvent toujours au premier rang pour manifester dans la rue ou pour signer des pétitions en faveur des « droits de l’homme »; or on ne peut reconnaître que l’homme a des droits en prétendant en même temps qu’il est mort et qu’il n’a jamais été qu’une pseudo-notion. Ensuite, devant les génocides, les horreurs des camps de concentration et des guerres, peut-on dire qu’il n’y a pas de sujet lorsqu’on voit ces monceaux de cadavres entassés comme des pierres ou comme des tas d’ordures? Peut-on continuer de dire que rien n’est contre nature parce que tout vient de la nature, que la distinction entre barbarie et civilisation est purement culturelle? Ou la philosophie n’est qu’un badinage mondain sans importance à l’usage de ceux qui, comme le disait Leibniz, préfèrent la paille des mots au grain des choses, ou l’on est en droit d’attendre d’elle un minimum de sérieux et de cohérence.

Jean Brun, L'Europe philosophe.p.332.

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